En constatant l’existence de plaintes pour des actes d’agressions sexuelles, d’attouchements, voire de viols, l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes a décidé de s’emparer du sujet des violences sexuelles. Même marginales au regard du nombre de praticiens et du volume d’actes dispensés chaque jour, ces plaintes ont toujours interpellé la profession.

Légitimement, la société et les victimes sont en droit d’attendre que les institutions ordinales rendent compte du traitement qui est fait de ces plaintes. C’est la raison pour laquelle le Conseil régional d’Île-de-France a souhaité examiner sur la période 2009-2021 l’ensemble des décisions disciplinaires devenues définitives et en extraire l’ensemble des plaintes pour motif sexuel et le traitement dont elles ont bénéficié[1]. Une telle démarche fait également écho au souhait exprimé ces dernières années par différentes associations en réaction à des interrogations levées par des missions d’inspection et de contrôle conduites auprès de diverses institutions ordinales.

36 plaintes pour motif sexuel ont fait l’objet d’une décision définitive, jugées en première instance par la Chambre disciplinaire d’Île-de-France sur cette période d’activité (soit 12% des 302 affaires). Comme dans d’autres contextes, il est possible que ce chiffre dissimule des situations où les victimes ne portent pas plainte.

Formulation de la plainte

Dans tous les dossiers, la victime est de sexe féminin. Dans 70% des cas, la plainte est portée par la victime elle-même (ou par un tiers dans un unique dossier ayant fait l’objet d’un rejet, le plaignant n’étant pas habilité à saisir la CDPI).. Dans 30% des cas, la plainte est portée par l’institution ordinale elle-même, l’Agence régionale de santé, l’employeur ou en encore une association de défense de victimes.

Dans 36% des cas, la plainte disciplinaire est accompagnée d’une procédure pénale ; on peut s’étonner d’une part si faible de poursuites pénales et soupçonner que l’information n’est pas toujours relayée à l’Ordre. L’issue de la procédure pénale n’est pas non plus systématiquement communiquée à la juridiction disciplinaire, la procédure pénale étant souvent plus longue.

Les plaintes sont généralement déposées rapidement par rapport à la date des faits : dans un tiers des cas, moins de deux mois après les faits ; dans 90 % des cas, dans un délai moyen de 5,3 mois. Dans le cas contraire, il semble que des éléments autres que sexuels soient associés à la plainte.

Comme souvent dans les affaires de cette nature, certaines patientes décrivent au moment des faits une surprise et une incompréhension, suivies d’une sidération, sentiments renforcés par la spécificité de la pratique kinésithérapique et le doute quant à l’aspect thérapeutique ou non du geste mis en cause. Cette spécificité de la profession de kinésithérapeute complique l’analyse de certaines plaintes.

Traitement de la plainte

Pour 25 affaires présentées par des usagers, la tentative de conciliation organisée par le Conseil départemental de l’Ordre intervient un mois et demi après réception de la plainte (conciliation partielle dans 1 cas) et seulement 4 affaires présentent des délais plus conséquents (entre 4 et 7 mois).

Certaines plaintes ont fait l’objet d’un désistement (3 sur 36) ou d’une ordonnance d’irrecevabilité (5 sur 36), prononcée en moyenne 7,5 mois après la plainte.

En moyenne, sur les 28 affaires ayant bénéficié d’un jugement définitif (hors irrecevabilité et désistement), le délai entre la plainte et l’audience est de 12,8 mois, délai légèrement moindre que pour l’ensemble des procédures vues par la juridiction.

Certaines plaintes sont élevées devant la Chambre disciplinaire nationale (6 sur 36), soit un taux d’appel relativement faible. Dans ces cas, le délai moyen de traitement est alors de 28,3 mois après la plainte. Aucune de ces plaintes ne semble avoir été élevée devant le Conseil d’Etat.

Faits retenus et sanctions prononcées

Sur les 28 plaintes jugées en audience, la juridiction disciplinaire est entrée en voie de condamnation pour 20 d’entre elles.

Dans 2 dossiers, la faute retenue est étrangère au caractère sexuel mais a trait aux modalités d’exercice.

Dans 5 dossiers, seul le défaut d’information et de recueil du consentement est retenu, ce qui peut être rapproché de l’ambigüité potentielle de certains gestes thérapeutiques.

La notion d’agression sexuelle est retenue dans 8 affaires, 2 jugements retiennent des faits d’attouchements.

Marginalement, deux condamnations se fondent sur des propos à caractères sexuel et une sur des faits de proxénétisme.

Des sanctions affectant l’exercice sont prononcées : sur 20 condamnations, une radiation du tableau de l’Ordre et 14 suspensions du droit d’exercer. Toutefois, dans la grande majorité des cas (11 sur 14) où est prononcée une suspension, celle-ci est assortie de sursis, pour au moins la moitié de la durée. Il en résulte que 10 sanctions affectant l’exercice sur 15 comportent une interdiction d’exercice ferme de 3 mois ou moins ou uniquement du sursis (dans 3 cas).

Association des CDO

Seulement 9 plaintes ont fait l’objet d’une association du Conseil départemental de l’Ordre, plaintes qui ont toutes donné lieu à sanction (dans les 16 dossiers ayant fait l’objet d’un rejet ou d’une ordonnance d’irrecevabilité ou de désistement, le CDO ne s’était jamais associé). Ce nombre d’associations peut sembler faible, tout au moins en regard du nombre de plaintes ayant effectivement donné lieu à condamnation. Pour autant, dans les premières années de fonctionnement de l’institution, les Conseils départementaux s’associaient moins qu’ils ne le font actuellement et ce, du fait d’une perception différente du sens de l’association à une plainte.

 

Depuis la mise en place de l’institution ordinale, les faits à caractère sexuel ont bénéficié d’une élévation devant les juridictions. Il semble que la tendance soit à la hausse : sur les 36 affaires retenues sur 13 années, 20 ont été jugées les 5 dernières années[2]. Il est salutaire que les faits de cette nature soient de plus en plus dénoncés et donnent lieu à des condamnations disciplinaires ; mais l’insatisfaction sera toujours présente tant que de tels faits se produiront dans le cadre de l’exercice d’une profession de santé qu’est la kinésithérapie, aussi marginaux soient-ils. A ce titre, nous devons nous interroger sur la fermeté des sanctions prononcées et nous assurer que le sursis prononcé dans nombre de condamnations ne risque pas d’être perçu comme une minimisation des faits reprochés ou une indulgence entre confrères.

Ces constats ne peuvent que renforcer le souhait de l’institution ordinale de lutter contre ces faits qui portent atteinte aux victimes comme à la confiance de la population dans la profession et le système de santé. Ils ne peuvent que renforcer le soutien à la politique de prévention et de lutte contre les violences sexuelles mise en œuvre par le Conseil national de l’Ordre et la campagne initiée par ce Conseil le 12 mai 2022 « Pour une relation thérapeutique saine et sécurisée ».

 

 

[1] Etude présentée le 31 mars 2022 lors de la séance du Conseil régional par J.-C. LAPORTE, L. LETELLIER, G. PLAZENET, L. SERRE et M. VIGNAUX, conseillers régionaux.

[2] Alors même que la juridiction disciplinaire d’Île-de-France avait jusqu’en 2017 compétence territoriale sur les 8 départements franciliens ainsi que le département de La Réunion.