Dès le mois d’août 2021, plusieurs kinésithérapeutes franciliens volontaires ont été envoyé en mission dans les territoires ultra-marins pour renforcer l’offre de soins. Vous avez été nombreux à vous porter volontaires et vous remercions vivement, ce que ni le Ministère chargé de la santé ni l’Agence régionale de santé d’Île-de-France n’ont été en mesure faire.

Des kinésithérapeutes franciliens ont ainsi été envoyés en Martinique, Guadeloupe et, à partir de septembre, en Nouvelle Calédonie. Nous vous livrons ci-dessous quelques témoignages de ces consœurs et confrères qui nous sont parvenus.

 

 

Marie TAISNE, kinésithérapeute à l’hôpital Bichat – Claude-Bernard (AP-HP)

« Samedi 14 aout 18h, je scrole sur Facebook : « Appel à la solidarité nationale pour venir soutenir les soignants antillais et la population ». L’ordre des masseurs kinésithérapeutes fait circuler ce message sur les réseaux. Le départ serait mardi. L’idée me semble très tentante. L’accord de mes proches et de mon encadrement me donne le courage d’envoyer un mail à l’ARS pour me manifester en tant que volontaire. Lundi 17h sans nouvelles de leur part je les appelle. Mon profil, masseur kinésithérapeute en réanimation leur convient. Il ne manque que l’accord de la DRH et un test antigénique pour partir. Le départ est à 13h mardi à Montparnasse. J’obtiens le mardi 17 à 11h30 l’accord écrit de ma DRH pour partir ainsi qu’un test antigénique négatif.

L’incertitude de mon départ m’avait poussé à prendre le strict minimum dans mon sac de voyage. Je ne sais pas où je vais, je n’ai pas eu le temps de dire au revoir à mes proches mais l’excitation de ce départ compense l’anxiété. Je retrouve les autres volontaires. Ils viennent des quatre coins de France. C’est incroyable. Presque tout le monde a eu la nouvelle du départ le jour précédent voir le jour même.

Rapidement des bus nous emmènent à Orly où nous sommes accueillis et dirigés vers l’embarquement.

A l’atterrissage en Martinique, on nous divise en 2 groupes correspondant à l’hôtel dans lequel nous allions séjourner.

Au premier abord, notre hôtel est top, une grande tour, 4 étoiles accrochés sur la devanture, des chambres spacieuses. A notre arrivée, nous avons droit à un accueil par le directeur de l’ARS Martinique, le PDG de la clinique et de médecins infectiologues du CHUM. Leur discours se veut rassurant mais ils nous mettent en garde ; nous ne serons pas forcément les bienvenus.

Le territoire est en confinement. Il est interdit de sortir sauf pour aller au travail ou faire ses courses, il est interdit de se baigner, il faut faire attention à ce qu’on achète quand on va faire les courses. Des volontaires du roulement précédent ont déjà été pris en photo alors qu’ils achetaient de l’alcool vêtu de leur blouse, photos qui avaient été publiés sur les réseaux.

Ils ajoutent que les équipes soignantes locales sont épuisées, qu’ils ont été réquisitionnés pour permettre de continuer à faire tourner les établissements de santé, mais notre venue ne sera pas forcément vue d’un bon œil par tous. Pour conclure il ne faut pas parler de la vaccination, ce sera LE SUJET tabou de ce séjour.

Le lendemain j’ai rendez-vous pour la réunion d’information. Le taxi qui m’emmène fait défiler les paysages. J’arrive pile à l’heure. De nouveau j’ai droit à un discours de bienvenue et de mise en garde. Pour le reste, je suis affiliée au CHUM. Nous sommes 7 autres kinés à aller travailler là-bas. Cette réunion me permet de comprendre que je suis la seule paramédicale de mon hôtel affilié au CHUM, alors que tous mes collègues sont logés dans un hôtel spacieux avec piscine.

Lors de la première journée nous sommes accueillis avec un petit déjeuner et une équipe de kinés souriants. Le cadre de rééducation nous explique le fonctionnement des services. De manière générale, presque tous les services sont occupés par des personnes atteintes du covid. Les places en réanimation sont chères et les personnes non éligibles restent en salle sous 15 L/min d’O2. Il existe des optiflow dromes pour les patients les plus précaires. Notre rôle en salle est d’évaluer l’autonomie des personnes et voir ou non si elles peuvent rentrer chez elles avec un apport en O2.

Pour ma part, je vais suppléer le travail en réanimation. Bien sûr j’arrive avec tous mes aprioris, mes savoirs faire et je passe beaucoup de temps à poser des questions sur leur manière de faire à la kiné affectée à ce poste. Elle prend le temps de me répondre patiemment. Je me rends malheureusement vite compte que nous allons être vite limités dans nos traitements par rapport à ce que je fais d’habitude. Le peu de personnes qui sont en court de sevrage ventilatoire avec levée des sédations est rapidement transféré dans d’autres structures ou envoyé en EVASAN. Nous avons à peine le temps d’établir un contact et de commencer à les stimuler. Les autres patients sont presque tous dans un état critique. Ils sont ventilés en VAC et curarisés. Nous passons pour les mobiliser passivement et aider au drainage bronchique. Nous sommes ici uniquement pour apporter nos bras, pas notre voix. Mes journées ressemblent à ce que j’ai pu vivre pendant le premier confinement : habillée de papier, masque FFP2 sur le visage avec une charlotte et de lunettes de protection. J’ai soif, j’ai chaud. Le travail est physique. Les patients sont presque tous obèses, rendant les mobilisations passives et le drainage difficile pour mon petit gabarit. J’ai eu la chance d’être accompagnée et aidée par un kiné renfort qui voulait découvrir la réanimation. Lui transmettre ce que j’avais appris m’a permis de garder un intérêt pour le travail effectué. Peu de monde s’en sort, les patients sont de plus en plus jeunes.

C’est ainsi que se poursuit mon expérience de volontaire : la journée au CHUM à côtoyer la mort et le désespoir, la soirée enfermée dans un 4 étoiles sans extérieur si ce n’est une terrasse couverte. Le confinement pèse lourd. Il est impossible de se vider la tête. Le soir, lorsque les volontaires se retrouvent c’est pour parler des problèmes que chacun à pu rencontrer pendant la journée. L’ambiance est pesante. Elle le sera d’autant plus le week-end où je tourne en rond. Après la deuxième semaine de travail je me sens épuisée physiquement et mentalement. C’est avec soulagement que je reçois mon billet retour.

Avec du recul, cette expérience aura été très enrichissante et intéressante. Je remercie toutes les personnes qui m’ont permis de la vivre.»

 

Blanca RUIZ, kinésithérapeute à l’hôpital Bichat – Claude-Bernard (AP-HP)

«Retour d’expérience de deux semaines en Guadeloupe :

Le gouvernement français sollicitait des volontaires pour se rendre aux Antilles françaises afin d’aider les équipes soignantes à faire face à la quatrième vague dévastatrice de Covid-19. Pourquoi je décide de m’inscrire ? Premièrement: mes compétences acquises après 5 ans d’expérience dans le service de réanimation de l’hôpital de Bichat – Claude-Bernard de Paris. Deuxièmement, ça faisait un moment que je souhaitais faire une mission humanitaire, me dédier aux autres, avoir une perspective plus humaine, j’avais envie d’être sur le champ de bataille ; me porter volontaire pour cette mission était exactement ce dont j’avais besoin.

Une semaine après l’envoi de ma candidature, je suis contactée et on me fixe une date de départ (le 9 septembre), sans connaitre ni ma destination précise, ni l’heure de départ du vol, ni où j’étais censé travailler une fois arrivée sur l’île.

Après quelques négociations avec l’administration, mon encadrement me donne le feu vert pour mon départ.

Après un vol de 8h et un décalage horaire de 6h, et je suis arrivée sur l’île de la Guadeloupe le 9 septembre à 18h, heure locale.

A l’aéroport, les organisateurs nous distribuent des enveloppes à nos noms avec : 1) l’hôtel qui nous était attribué, 2) l’affectation de travail (CHU ou polyclinique)

Différents bus nous attendent à l’extérieur de l’aéroport. Sur mon trajet de bus une amitié commence à se créer avec une fille qui finira par être ma « colloc » et une bonne amie pour la vie.

Première nuit sur l’île, j’étais épuisée après le voyage mais la telle vue magique sur la mer lors du dîner n’a fait que compenser, d’un coup, ma léthargie.

Le décalage horaire m’a frappé dès la première nuit : 4 heures du matin, j’avais les yeux grands ouverts et à 8h00, j’étais fin prête pour prendre la navette qui nous conduisait au CHU de Pointe-à-Pitre pour une réunion de présentation de la situation. La courbe d’incidence commençait à s’inverser avec moins d’hospitalisation quotidienne. Nous étions la 5ème rotation de renfort avec 84 soignants qui arrivaient au CHU.

L’île était en plan blanc depuis le 26 juillet, l’état d’urgence sanitaire avait été prolongé jusqu’au 15 novembre et la rentrée scolaire repoussée au 13 septembre. Le taux d’incidence était de 451 cas pour 100 000 habitants. 41 lits de réanimation supplémentaires avaient été déployés, dont 56% occupés par des patients Covid. Le nombre de décès pour cette 4ème vague était plus de 250 personnes sur une île dont la population normale est de 390 000.

J’ai été affectée dans le service de réanimation en tant que kinésithérapeute. Le fonctionnement de l’unité est très similaire à celui de mon hôpital, donc l’intégration s’est très bien déroulée et je me suis également sentie très bien accueillie par mes nouveaux collègues. Une journée standard débutait par la visite médicale, les transmissions étaient données, et les prescriptions des patients qui avaient besoin de « traitement kiné » : une possible extubation, kiné motrice pour potentialiser la situation globale et le plan respiratoire des patients, une séance de désencombrement bronchique, application des VNI, sevrage de l’oxygénothérapie (VNI, optiflow, lunettes). Pour la prise en charge de nos patients nous travaillions en binôme afin d’offrir un traitement plus prolifique. J’ai eu une bonne connexion avec mes collègues guadeloupéens. Ce fut une expérience très enrichissante, nous avons appris les uns des autres.

Nos journées de travail étaient de 9h à 16h (uniquement pour le renfort) et tous les jours du lundi au vendredi, en nous laissant les week-ends libres. Très attachée à ma petite famille rencontrée sur l’île, il me reste à dire que ça a été une expérience inoubliable et que cette île, elle me maque énormément. Merci à la « team réa » à mon encadrement et à tous ceux qui l’ont rendu possible.»