Émotion pour les kinésithérapeutes, en ce début d’été lorsque notre ministre de la santé déclare vouloir rendre l’adhésion à l’Ordre facultative. Émotion et incompréhension, alors que notre jeune institution, qui entre dans sa 7ème année, peut s’enorgueillir de rassembler la très grande majorité des professionnels, pour ne pas dire sa quasi-exhaustivité. Attendu depuis de nombreuses années, ce qui constitue le fruit d’une revendication syndicale de près d’un demi-siècle serait balayé d’un revers de manche.
Satisfaction à la lecture de l’instruction DGOS/RH1/2012/317 du 9 aout 2012, qui intègre à la formation initiale des kinésithérapeutes les informations utiles à la mise en œuvre des plans de santé publique. Satisfaction en effet de constater que le ministère considère la kinésithérapie comme incontournable pour faire face aux enjeux de santé de demain, qu’elle doit aussi porter un regard distancié complémentaire à la pratique individuelle.
Dans l’évolution de la profession, la création, par la loi du 9 aout 2004 de l’Ordre des masseurs kinésithérapeutes, organisme privé chargé d’une mission de service public constitue un saut qualitatif incontestable, en actant la maturité de ses acteurs, et leur confiant la gestion de leur administration. « … veille au maintien des principes de moralité, de probité et de compétence indispensable à l’exercice de la profession et à l’observation, par tous ses membres des droits, devoirs et obligations professionnels ainsi que des règles édictées par le code de déontologie. Il assure la défense de l’honneur et de l’indépendance de la profession de masseur kinésithérapeute… ».
Il semble donc utile qu’une grande partie de notre énergie soit consacrée aux contacts divers qui, je l’espère, permettront d’infléchir les options envisagées par notre ministère de tutelle, permettront d’argumenter qu’en 2012, « l’ordre n’est pas un gros mot, une éructation d’un système qui digère les forces du travail », [1] et de reprendre aussi à notre compte la formule d’Auguste Comte : « l’ordre pour base, le progrès pour but ».
Acteurs de santé de premier recours, les kinésithérapeutes exercent aujourd’hui légalement leur profession en étant inscrits au tableau de l’ordre. Demain, l’ordre gèrera le fichier RPPS, dégageant ainsi l’administration de cette tâche. Les travaux concernant la réingénierie des études, ceux qui sont conduits pour définir et préciser le référentiel d’activités convergent pour que la profession bénéficie d’un cursus de formation universitaire de niveau Master, qui doit permettre l’accès à la filière académique de recherche qui nous manque si cruellement d’entériner cette posture d’ingénieur en santé qui nous correspond, favorisant ainsi l’organisation de soins coordonnés.
Nous pouvons être fiers du bilan des 6 premières années de notre Ordre, dont nous sommes tous comptables, pour en avoir été des acteurs.
La profession a montré sa maturité en constituant son tableau, en éditant son code de déontologie, en organisant et en faisant fonctionner les 123 structures ordinales dès leur mise en place.
Le travail de proximité des CDOMK permet une gestion des conflits apaisée, grâce aux conciliations qui aboutissent le plus souvent à des accords entre les parties.
Le versant disciplinaire, entre pairs, est assumé avec une grande dignité, et constitue un maillon indispensable au fonctionnement d’une profession responsable. Les chambres disciplinaires de première instance, régionales, et parmi celles-ci la CDPI du CIROMK IdF La Réunion contribuent à la sécurité des patients, à la garantie apportée aux usagers de la moralité, de la probité et de la compétence indispensables à un exercice moderne de la profession, au respect de l’éthique et de la déontologie. Ces juridictions sont en outre composées de représentants des usagers, ainsi que de représentants institutionnels, garantissant ainsi une justice rapide, indépendante et efficiente.
La régulation ordinale de la profession, délégation de l’État, n’est pas antinomique, loin s’en faut, avec les soucis légitimes d’assurer à tous un système de santé réputé être le meilleur du monde (OMS 2010).
Les inégalités sociales de santé, qui convoquent l’éthique, ne peuvent être ignorées d’une institution dont cette valeur constitue l’épicentre.
Un ordre professionnel ne doit probablement pas être analysé comme le lieu d’un corporatisme, héritage d’autres temps. Il peut parfaitement constituer une articulation efficace entre l’individualisme inhérent, tant à notre époque qu’au mode d’exercice des professionnels (85% des Kinésithérapeutes ont un exercice de ville encore qualifié par certains de « libéral ») et la verticalité indispensable à la régulation publique qui défini les orientations du système de santé.
L’organisation régionale de la santé, déclinaison territoriale de l’action publique, constitue probablement une option pertinente pour répondre aux besoins de santé de la population. Les agences régionales de santé, ARS, pivots de la cohérence tant des administrations de l’État, de l’assurance maladie, que des ressources en professionnels de santé verront peut-être demain leurs compétences élargies à la médecine de ville.
L’organisation ordinale, en ce sens qu’elle regroupe l’ensemble des professionnels, quelque soit leur mode d’exercice, a ainsi vocation à accéder au rang de réel partenaire des ARS dans la politique régionale de santé.
La kinésithérapie constitue une ressource de santé pertinente au regard des enjeux de santé publique de demain. Le vieillissement de la population et la dépendance, l’augmentation de l’espérance de vie de patients chroniques dont la qualité de vie doit être améliorée (le risque n’est pas nul pour que l’état de santé devienne un critère d’exclusion sociale), le maintien à domicile, sont autant d’arguments qui plaident pour un recours à une discipline dont les effets secondaires sont anecdotiques, dont le coût reste très limité, dont l’indication s’enrichit régulièrement de critères scientifiques forts.
Acteurs de la prévention, de l’éducation thérapeutique, qui ne peuvent se concevoir que dans le temps (les actes de kinésithérapie se dispensent sur une période suffisamment longue pour permettre régulation et appropriation), les kinésithérapeutes proposent, en toute autonomie et en pleine responsabilité, en lien avec les autres professions de santé, un ensemble d’actions auprès des personnes pour préserver, développer, retrouver et suppléer des capacités fonctionnelles et le mouvement à tous les âges de la vie, lorsqu’ils sont perturbés par les traumatismes, la maladie et le vieillissement, l’ignorance ou la négligence.
Loin d’être un frein à une politique de santé modernisée, l’Ordre des masseurs kinésithérapeutes peut constituer un partenaire efficace de l’État pour accompagner des réflexions innovantes en matière de coordination des soins adaptés aux enjeux épidémiologiques et démographiques d’aujourd’hui, répondre aux nouveaux défis sanitaires, dans un souci partagé de démocratie sanitaire.
Dominique PELCA, Président
[1] Sécurité, La gauche peut tout changer, Manuel Valls, édition du moment, 2010, p57